CHARLEMAGNE, L'EUROPE PAR LE FER ET LE SANG (2024)

Le 28 janvier 814, Charlemagne meurt d'une pleurésie contractée au cours d'une chasse. Décidément, jusqu'à la fin de sa vie, le grand Charles aura vécu à cheval. On le dépose dans un sarcophage antique, lequel est enterré dans l'église qu'il vient de faire construire à Aix-la-Chapelle. L'épitaphe latine salue « Charles, grand et orthodoxe empereur, qui étendit glorieusem*nt le royaume des Francs et le gouverna avec bonheur pendant quarante-sept années ». Cette sépulture est à l'image du règne. L'homme enterré là s'est paré du titre d'empereur romain, mais il aura surtout été un roi des Francs. Ce pouvoir a été acquis de haute lutte. Lorsque Charlemagne naît, sans doute le 2 avril 748, son père, Pépin le Bref, n'est que maire du palais. Le trône appartient encore à Childéric III, un descendant de Clovis. Quant à la famille de Charlemagne, celle des Carolingiens, tout au plus peut-elle se prévaloir de descendre d'Arnoul de Metz, un évêque de Metz qui vécut au début du VIIe siècle. Certes, bien du chemin a déjà été parcouru. À la suite de son grand-père Pépin de Herstal et de son père Charles Martel, Pépin le Bref est parvenu à confiner le souverain mérovingien dans un rôle purement représentatif. C'est désormais le maire du palais qui mène les armées à la guerre et qui intervient pour soutenir l'Église : la famille de Charlemagne a déjà accumulé de grandes victoires, notamment contre les païens de Frise et contre les Sarrasins.

Une éducation bâclée

En 751, Pépin le Bref dépose Childéric III et se fait élire roi ; trois ans plus tard, le pape vient à Saint-Denis pour lui administrer le sacre, un rituel jusque-là inconnu des Francs. Mais le coup d'État n'est pas unanimement accepté : en Bavière, en Aquitaine et en Provence, certains aristocrates francs renâclent. Lorsque Pépin le Bref meurt en 768, toutes ces séditions ne sont pas éteintes. Or la jeune dynastie carolingienne doit également affronter des troubles internes. Les deux fils de Pépin le Bref, Charlemagne et Carloman, se sont partagé le territoire. Mais ils s'entendent mal. Lorsque Carloman meurt en 771, ses enfants sont mis en fuite par Charlemagne, ce qui vaut à ce dernier quelques inimitiés. Pour ne rien arranger, son éducation a été bâclée : alors que les Mérovingiens étaient tous des rois lettrés, le fils de Pépin le Bref ne sait même pas tenir la plume pour écrire son nom ! En somme, le début du règne de Charlemagne est marqué par un manque criant de légitimité.

Pour en trouver, la force constitue la première réponse. Malheur aux Grands qui prétendent conserver leur autonomie ! Tel est le cas du duc d'Aquitaine, éliminé en 768, ou du duc de Bavière, décrédibilisé puis capturé en 788. Cela ne suffit pas puisqu'en 785, certains Grands conspirent encore contre Charlemagne. Pour les mater, le roi manie l'exil, l'énucléation et même la peine de mort. En 792, une nouvelle révolte secoue l'aristocratie et elle est à nouveau brisée par une campagne de répression ; Charlemagne doit même remiser dans un monastère son propre fils aîné, Pépin le Bossu, qui a eu le tort de s'associer aux révoltés. Pour pallier cette impopularité persistante, une bonne solution consiste à lancer des opérations militaires extérieures. Pour les nobles, elles constitueront un défouloir lucratif ; pour les idéologues du palais, elles offriront des arguments permettant de faire du roi le sauveur de la chrétienté. Une première grande expédition est lancée contre l'Italie lombarde en 773. Le roi des Lombards est certes chrétien, mais il a eu maille à partir avec la papauté ; Charlemagne va donc prétendre voler au secours de Rome. Les Lombards ont aussi eu le tort de donner asile aux enfants de Carloman... Lorsqu'il s'empare de Pavie en 774, Charlemagne peut enfin éliminer ces indésirables neveux. Désormais maître de l'Italie du Nord, il prend le titre de « roi des Francs et des Lombards ». D'autres campagnes sont moins réussies, telle l'expédition espagnole de 778. Alors qu'il pensait jouer des divisions entre les chefs arabo-musulmans, Charlemagne échoue devant Saragosse. La retraite tourne au désastre lorsque son arrière-garde est attaquée par les Basques au passage des cols pyrénéens ; c'est la fameuse défaite de Roncevaux. Là, tombent le sénéchal Eggihard, le comte du palais Anselme, ainsi qu'un obscur préfet de la marche de Bretagne nommé Roland. Ce dernier sera promis à une belle postérité littéraire.

Violent prosélytisme

Charlemagne sait apprendre de ses défaites ; dans les décennies suivantes, il avance prudemment et parvient à prendre le contrôle d'une petite bande côtière au sud des Pyrénées. Au nord, la conquête de la Saxe est plus difficile. De cette région jusque-là tributaire des Francs, Charlemagne entend faire une partie intégrante de son royaume. Mais il veut assurer le salut de tous ses sujets ; les Saxons devront donc devenir chrétiens. La guerre prend un aspect religieux. En 772, Charlemagne détruit l'Irminsul, un arbre sacré servant de sanctuaire fédéral aux tribus saxonnes. Ces dernières ripostent l'année suivante en brûlant l'église de Fritzlar. Comme le paganisme sert de facteur d'unité aux Saxons indépendantistes, Charlemagne organise des baptêmes forcés en 776 sur la Lippe et en 780 sur l'Elbe. Cela ne fait que renforcer la résistance saxonne, qui s'organise autour du chef Widukind. Ce dernier cible les religieux, perçus comme des agents du pouvoir franc. En 782, Charlemagne réplique en faisant décapiter 4 500 prisonniers. Des lois sont émises, qui laissent aux Saxons le choix entre le baptême et la mort. Cette politique de terreur suscite l'embarras d'une partie du clergé franc, car le droit de l'Église interdit formellement les conversions forcées. Charlemagne prend surtout conscience que ces mesures sont contre-productives. Capturé en 785, le chef Widukind voit sa vie épargnée ; et s'il est contraint au baptême, Charlemagne devient son parrain, en signe d'apaisem*nt.

Peu à peu, les fils de nobles saxons se voient attribuer des fonctions importantes dans le clergé ou la fonction publique. Ils rejoignent ainsi l'aristocratie franque, dans laquelle ils se fondent par mariages. L'intégration de la Saxe est achevée par la création d'un réseau de villes épiscopales dont Osnabrück (peu après 780), Brême (vers 787), Münster (vers 792/793), Paderborn (799), Minden (vers 803) et Hambourg (804). Plus à l'est, Charlemagne part batailler contre l'Empire avar, un peuple nomade, installé dans la moyenne vallée du Danube. En 795 puis en 796, les armées franques pillent le camp fortifié des Avars, le « ring », où ils avaient accumulé un prodigieux butin. Charlemagne profite de cette aubaine pour améliorer la qualité de sa monnaie d'argent. Quant au territoire conquis, il est pour partie transformé en marche militaire.

L'extension territoriale, considérable, suffit-elle à transformer le royaume des Francs en empire ? Les Mérovingiens avaient produit de grands conquérants, comme Clovis qui s'appropria les Gaules ou Théodebert Ier qui conquit l'Italie du Nord. Ils restèrent pourtant de simples rois. Pendant longtemps, Charlemagne se satisfait aussi de ce statut. À la cour, son surnom est « David » : la royauté biblique est son modèle. Mais une couronne impériale pourrait enfin faire oublier que le fils de Pépin le Bref est né simple aristocrate. Or le contexte devient soudainement favorable. En 797, l'impératrice Irène s'empare du pouvoir à Byzance après avoir fait crever les yeux de son fils Constantin VI. Charlemagne choisit d'en déduire que le titre impérial est maintenant vacant. À Rome, le pape Léon III souffre de l'hostilité de la noblesse locale. Victime d'un attentat, le pontife a besoin des Francs pour tenir sa ville et il est prêt à faire bien des concessions. Le jour de Noël 800, dans la basilique Saint-Pierre, Léon III accepte de couronner Charlemagne comme empereur auguste. Sur le plan personnel, c'est un triomphe, que le grand Charles consomme prudemment : il faut attendre plusieurs années pour que les actes officiels soient émis au nom de l'empereur, et non plus du « roi des Francs et des Lombards ». Pour ses successeurs, le legs est en revanche embarrassant ; cet empire que l'on ne peut pas partager est contraire à tous les usages politiques des Francs. Or, bientôt, ni l'aristocratie ni les clercs n'adhèrent plus à ce projet. En 875, l'archevêque de Reims invite même Charles le Chauve à refuser la couronne impériale ! Alors que les raids vikings et les guerres civiles dévastent le territoire, le rêve de Charlemagne n'est plus qu'une dangereuse chimère. De fait, l'Empire disparaît en 888. La royauté franque, plus plastique, survivra sans peine à la crise.

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Author: Mr. See Jast

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